Qui êtes-vous ?

Bruxelles, Belgium
La preuve est un projet qui associe théâtre-performance-sculpture. Avec ce projet, j'ai la volonté de tester et jouer avec le public à tester nos limites face aux imageries 'clichés' liés au: /meurtre-serial killer-school shooting/ tout en tentant de connecter ces thèmes à celui de l'amour : Et si un meurtre/carnage devenait une preuve d'amour ? "Il y a un vieux proverbe qui dit : « si dieu n’existe pas tout est possible ». Mais ce qui est certain, c’est que Tout n’est jamais permis, parce qu’il y a des lois de vraisemblance qui survivent au créateur. Cependant la deuxième partie du proverbe peut fonctionner, c’est-à-dire se faire réalité sur le mode hypothétique : « si tout est permis... » Ce nouveau proverbe n’a pas de seconde partie. En effet si tout est permis... eh bien quoi ? Un projet proposé par Mathias Varenne Mise en scène: Mathias Varenne Sculptures: Damien petitot Scénographie: Damien Petitot et Gaëtan Rusquet Interprètes/Performers: Damien Petitot, Gaëtan Rusquet, Mathias Varenne, Nathanaëlle Vandersmissen. Chargée de production: Manon Faure Un projet présenté par MOTHERSHIPasbl

mercredi 24 avril 2013

Le monologue de l'adolescent : « Invitation » (première étape d'écriture)


Un grand espace vide et sombre. On aperçoit sur scène un jeune adolescent, capuche et casquette noires vissées sur la tête. Il est juché sur des rollers et fait des grands tours de la scène, tel un sprinter. Derrière la régie (sur le plateau), un ours géant, il ressemble à une mascotte de foot américain mais son visage est beaucoup plus effrayant (cf. «Donnie Darko»). Alors que le public commence à rentrer, l'ado s'arrête un instant, puis roule vers l'ours et lui chuchote quelque chose à l'oreille. L'ours acquiesce et l'ado roule cette fois pour s'approcher des spectateurs (il peut les accompagner, les épier, les fixer, et faire de nombreux aller-retours auprès de l'ours). Sans attendre que le public soit complètement installé, l'ado s'exclame :

(Au public tout entier, avec bienveillance et fulgurance, comme s'il se rendait compte des mots qu'il prononce après les avoir dits. Lorsqu'il pose des questions au public, il ne leur laisse pas le temps de répondre.)

-Whaou... !!!
Qu'est ce que vous êtes beau, putain...
Non mais vraiment je veux dire... Je vous ai vu rentrer là... et tout de suite j'ai senti qu'y avait un truc, ouais... je veux dire un truc entre nous quoi...

(A une personne, en souriant)

Arrête de me fixer comme ça toi, je vais finir par m'évanouir si tu continues...

(A tout le monde)

Non mais vraiment dès que je vous ai vu, j'ai senti qu'il pouvait vraiment se passer quelque chose, et qu'on pourrait pt'être même baiser ensemble...
Désolé, je vous ai choqué... c'était un peu brutal, oui, désolé...
Mais attention hein! Je vous parle pas de sexe! Je vous parle d'amour... J'ai envie de coucher avec vous et de vous baiser longtemps..., longtemps...
Je veux vraiment pas vous brusquer, mais c'est juste que j'ai eu ce sentiment en vous voyant, qu'il pouvait y avoir un vrai acte d'amour entre nous, ouais, mais pas d'amour platonique, non d'A.M.O.U.R!
Vous croyez pas que je vous aime?
Vous croyez pas à l'amour au premier regard? ...
Bien sûr que si vous y croyez, sans quoi vous seriez pas là ce soir, vous seriez mort où dans un asile psychiatrique mais ce qui est sûr c'est que vous seriez pas la ce soir...
 C'est peut-être parce qu'on est très nombreux?

( Il désigne l'ours)

C'est lui qui vous gêne?
Faut pas vous en faire, c'est mon ami imaginaire, Frank ! Il vous veut pas de mal. Hein Frank?

(Frank acquiesce et salue le public par un signe de la main.)

Est-ce que je peux vous poser une question?
Est-ce que vous savez ce que c'est que l'Amour?
Non en fait, est-ce que je peux vous poser une question plus intime?
Est-ce que vous trouveriez ça intéressant que là, maintenant, on se déshabille tous et qu'on couche tous ensemble, un truc avec plein de sueur et de salive... un acte d'amour quoi...?
Bon ok... ok... oui... je sais ce que je vais faire... laissez-moi vous raconter une histoire. Une histoire que je pense édifiante, un peu comme un conte moral, veuillez me croire, je vous assure, elle l'est. Ca risque d'être un peu long, après tout il s'est passé beaucoup de choses, mais si ça se trouve vous n'êtes pas trop pressé? et j'espere même qu'avec un peu de chance vous avez le temps. Et puis ça vous concerne, si , si, vous verrez ça vous concerne... Ecoutez-moi, et vous verrez que ça vous concerne, si, si, vous verrez ça vous concerne même s'il s'agit d'une sombre histoire. Mais commençons par le commencement. D'accord? Ah oui, j'oubliais, il pleut dans l'histoire, alors Frank va mettre un son d'orage.

(Il se retourne vers Frank)

Frank s'il te plaît!

(Frank enclenche un son d'orage)
Je vais éteindre la lumière aussi pour être dans l'ambiance, dans un truc plus intime... et puis pour vraiment bien vous raconter cette histoire, je vais fermer les yeux, parce que... ouais... je la raconte mieux comme çà...

(Il ferme les yeux)

Alors, donc au début de l'histoire il pleuvait...
Je sentais de grosses gouttes glacées qui tombaient le long de mon cou. Ma mère me tenait la main fermement et me tirait pour que j'avance plus vite. On marchait tous les deux sur le trottoir en évitant les flaques. Le vent glacial secouait les quelques boucles qui dépassaient de mon bonnet de laine. Chaque fois que je tentais de l'ôter parce qu'il me grattait tout autant que mon pull, ma mère me donnait une tape sur la main, en me disant «Arrête! Avance!», alors je baissais les yeux et j’avançais en traînant les pieds sur les gravillons du trottoir. Plus on avancait et plus je sentais un filet acide-amer qui me coulait le long de la narine droite jusqu’à creuser un sillon jaunâtre qui glissait inexorablement le long de la petite vague située juste au-dessus de ma lèvre supérieure. Ce fut mon seul plaisir ce jour-là. Passer délicatement ma langue contre cette matière visqueuse. Ca c'était à moi, c'était ma morve, la mienne, à moi et à personne d'autre...

Et puis, on est arrivés devant un grand bâtiment blanc et gris où une nuée d'autres marmots hurlaient, criaient et jouaient. J'étais complètement perdu au milieu de cette foule instable, violente, hystérique. Tout était brutalité, le ballon qui fusait devant mes yeux, la petite squaw qui hurlait à côté de moi, et tous ces adultes qui disaient, criaient, chuchotaient, apaisaient: «il faut que tu y ailles! Ca va bien se passer! Il faut apprendre si tu veux être grand!». En entendant çà, j'ai bien senti qu'il n'allait pas falloir longtemps avant que je rejoigne cette masse de chougnards apeurés, alors dans un sursaut de vie et de détresse j'ai levé vers ma mère de grands yeux pleins de larmes et son visage, bien que tout proche du mien, m'est apparu à des millions d'années-lumières. Elle s'est retourné vers moi et m'a glissé à l'oreille : «Tu vas voir on va tout bien t'expliquer ici»...
Alors et comme tous les autres j'ai suivi la masse et je me suis retrouvé coincé entre une table et une chaise.

Les jours ont passé et puis les mois et les années aussi... Je m'ennuyais mais je m'acharnais parce qu'on m'avait bien expliqué qu'il fallait apprendre pour grandir même si je m'étais rendu compte depuis longtemps que je serais un putain de raté toute ma vie, que j'aurais beau faire ce que l'on me disait - c'est-à-dire: retenir d'innombrables explications concernant le monde dans lequel nous vivions afin d'admettre qu'il ne pouvait en être autrement - et que puisque je ne serai jamais assez riche ni assez beau ni assez intelligent, je ferai de toute façon partie de la grande majorité de ceux qui subissent ce monde d'explications.
Puis vers 14 ans, est arrivé le temps du suicide. Chaque matin alors que je retrouvais mes camarades de galère, je voyais dans leurs yeux ce vide apocalyptique qui ne faisait que me renvoyer au mien. Cette forme de désillusion qui ne faisait que me renvoyer à la mienne. On traversait cet âge où nos esprits après avoir été étriqués dans ce monde d'explications se retrouvaient en plus, enfermés dans des corps trop grands, trop petits, trop gros, les dents emprisonnées, le visage constellé. Cet âge où tous les yeux sans exceptions reflètent une espèce de lividité cadavérique. Cet âge où l'on se rapproche inexorablement de la seule échappatoire possible: la mort.
Deux ou trois de mes camarades ont bien sûr pris cette liberté du suicide, mais la majorité d'entre nous avaient déjà bien trop admis qu'on n'était pas ici pour s'amuser. C'est à cette époque que je me suis fait mes premiers amis: Laura, Aicha, Paul, et Martin.

On était pas vraiment des «amis», mais on se retrouvait dans certains endroits de nous-mêmes que nous avions appris à sociabiliser, comme notre ratage du moment du suicide, notre momentanée adoration pour tout ce qui concernait le Punk et... Robert Smith de The Cure, qui appartenait à la génération de nos parents, on le savait mais putain ce qu'il était cool avec son maquillage et ses cris de bébé dans ses chansons. On avait même décidé de monter un fan-club dont les membres étaient exclusivement... nous cinq.
Une nuit, on a eu la permission d'aller faire du camping dans les bois. On s'est tous retrouvé avec notre énorme sac à dos bourré par nos parents de vivres et de couvertures. Moi j'avais pris en plus au fond de mon sac, Virginie, la chatte de mon voisin, en me disant que ça serait cool d'avoir une mascotte pour le club. Je l'avais enfermée dans un sac en plastique et après bien deux heures d'hystérie complète elle s'était enfin résignée à son sort, non sans avoir uriné à plusieurs reprises ce qui avait donné une odeur définitive aux couvertures et aux sandwiches «thon mayonnaise» de ma mère.

A peine on s'était installés près d'un gros chêne sous lequel on avait décidé de passer la nuit, que j'ai sorti Virginie pour la présenter à mes potes. Le nœud du sac me résistait, alors Aïcha qui avait des ongles très longs avec des Hello Kitty souriants collés dessus, a pris le relais. Avec une dextérité fascinante et en moins de deux secondes elle a réussi à libérer le corps de Virginie et à le plaquer au sol, mais Virginie l'a immédiatement griffée à la main et Paul et Laura sont venus à la rescousse pour la tenir, pendant que moi et Martin avons défait nos lacets pour l'attacher par les pattes à deux troncs d'arbre proches de nous. Liée comme ça elle ressemblait plus à un lapin qu'à un chat, ce qui était vachement moins cool comme mascotte mais au fond ça n'avait pas vraiment d'importance...

On s'est tous mis en cercle autour de l'animal. Pendant un long moment personne n'osait respirer, tellement on était en extase face à ce corps hystérique, tressautant et hurlant devant nous. Et puis Paul a pris une branche morte près de lui et a commenccé à appuyer sur le flanc de Virginie qui hurlait à la mort. On pouvait voir la résistance tenace de ses muscles. Paul a d'abord appuyé doucement, puis a essayé d'enfoncer de plus en plus fort le bâton dans le corps de Virginie. Virginie, épuisée, a fini par se calmer et la seule forme apparente de vie qui lui restait était ce halètement quasi silencieux. Chaque fois qu'il retirait le bâton, le flanc reprenait sa forme initiale. Aucune marque. Aucune trace. Alors, j'ai eu une idée j'ai arraché le bâton des mains de Paul et j'ai commencé à le presser de nouveau contre le flanc de Virginie. D'abord à une main, puis à deux. On a commencé à entendre ses côtes se briser. Ce bruit a éveillé chez nous la plus grande curiosité et Paul et Aïcha se sont joints à moi. On a fait pression sur son flanc de plus en plus fort, jusqu'au moment où notre bâton a transpercé en un centième de seconde et sans un bruit le flanc de Virginie qui s'est mise à émettre un son strident comme jamais on n'en avait entendu. Nos cinq corps se sont alors suspendus dans l'espace-temps. Tout le monde retenait son souffle... et écoutait la longue plainte de Virginie. On a aperçu un léger filet de liquide rouge qui commençait à sortir entre la peau de Virginie et le bâton enfoncé dans sa chair. J'ai retiré le bâton d'un coup sec et le sang s'est mis à jaillir en une petite fontaine carmin en même temps que le cri de Virginie s'est stoppé net. Nos cinq rires adolescents ont remplit toute la forêt. Et puis chacun notre tour on a enfoncé le bâton dans le corps de Virginie, d'abord en prenant le temps comme la première fois, comme si on souhaitait vivre encore et encore cette expérience du moment où l'on passait de l'extérieur à l’intérieur, et ensuite on a commencé à s'acharner dessus comme des fous. On était des dieux destructeurs. Chacun à son tour on prenait le bâton et chacun à son tour on l’enfonçait aussi profondément qu'on pouvait en prenant son élan en hauteur et en hurlant. Nos fronts perlaient. La sueur se mélangeait au sang sur le sol recouvert de feuilles. Des morceaux de chair restaient collés le long de notre arme. Et on frappait, frappait, frappait en hurlant. Des morceaux de chair volaient. Le corps de Virginie avait déjà complètement disparu, mais on continuait à s'acharner sur des morceaux de viande sanguinolents, et là Aïcha est tombée au sol et alors là, on s'est tous mis à partir dans un fou rire comme jamais on n'en avait eu dans notre vie. On a tous commencé à se rouler par terre en riant. Et puis Martin s'est relevé et a pris une grosse poignée de terre et de morceau de viande et en même temps que sa bouche riait ses yeux nous ont lancé un défi, un vrai cette fois, et devant nous il a enfoncé sa main remplie de boue et de Virginie dans sa bouche. Il nous a regardé encore un moment, et il a tout avalé en une seconde, sans même gémir. On était tous soufflés. Et alors chacun notre tour on s'est levé, on a pris une énorme poignée de terre et de Virginie, on a regardé les autres de toute notre hauteur et on a enfoncé le tout dans notre bouche, et on a avalé et quand tout le monde l'avait fait... ben on était calmes... Ouais... apaisés en fait Ouais...

Après, moi et Laura, on a ramassé les restes de Virginie, et on les a enterrés dans un petit trou qu'on a creusé sous un arbre. Pendant ce temps les autres ont monté une cabane et fait un feu, et puis on a passé toute la nuit a chanter «killing an arab» et «boy's don't cry» et on s'est raconté des histoires d'horreur en riant, en buvant du coca et en mangeant des saucisses.
Et puis au petit matin, comme Paul et Laura s’était endormis, moi, Martin et Aïcha, on a décidé d'aller se promener dans la forêt...
On marchait super lentement... On était complètement ouverts aux bruits et aux odeurs de la forêt... Sur le chemin on ne disait pas un mot, et puis dans une seule respiration, comme venu de nulle part, Martin a lâché «Vous avez déjà aimé quelqu'un?». (Silence)

Personne n'a répondu. Il avait dit quelque chose qui était vachement important, et on le savait tous les trois. Il venait vraiment de dire quelque chose de vachement important et on le savait tous les trois. Il venait de se mettre à nu devant nous. Il avait su dire les bons mots, poser la bonne question qui n'appelait aucune explication juste un oui ou un non qui pourrait tout transformer, à tout jamais. Il nous faisait confiance, nous offrait son intimité, sa douleur, sa mélancolie.
Mes yeux et ceux de Aïcha se sont croisés une seconde, pas plus. J'ai juste vu qu'elle me souriait. Alors, je ne sais pas pourquoi mais mon corps s'est arrêté... J'étais là... immobile... au milieu de la forêt... les bras ballants... la tête baissée... le monde était à moi... je venais d'arrêter le temps et mon cœur battait si doucement... (Silence)
Les deux autres ont continué à avancer quelques mètres et puis se sont retournés pour voir ce qui se passait. Alors j'ai levé le visage vers eux, et j'ai plongé mes yeux pleins de larmes dans les leurs. Leurs visages étaient tout proches du mien, à quelques mètres oui, oui, mais tout proches du mien.
Alors Martin a souri et Aïcha aussi et ils se sont approchés de moi... et Martin a posé sa main sur mon épaule... et Aïcha aussi... et on s'est embrassé...
Là, au milieu de la forêt, alors que le ciel commençait à peine à s'éclaircir. Nos langues se sont d'abord mélangées timidement... et puis Aïcha a enfoncé un peu plus profond sa langue dans nos bouches... et Martin aussi... et moi aussi... et à un moment on a senti les restes de la petite odeur fétide de Virginie dans nos bouches et alors on s'est serrés aussi fort qu'on pouvait... et nos larmes et nos sourires et nos langues et la petite odeur fétide de Virginie, tout ça se mélangeait et créait un immense ciel bleu chaotique qui nous englobaient tout entier et on pouvait entendre le moindre battement d'ailes des oiseaux, le moindre bruissement des fougères autour de nous, tous les loups de la forêt accouraient en hurlant pour nous épier en silence et on en était sûr, ils étaient jaloux de nous.

Tout, absolument tout, autour de nous se transformait en de sublimes outils à notre disposition afin que nous créions notre propre monde. Nous sortions de ce monde d'explications. Nous découvrions un monde dans le monde. La vie, la mort, tout ça n'était plus quantifiable ni qualifiable. Tout n'était qu'outil et tout n'était que possibilité de transformations. La brutalité du monde et des hommes se révélait à nous comme la réponse absolue, claire et nue. Nous aimions et étions aimés. Il existait un imprévu! L'amour! Il existait une soudaineté! L'amour! Il existait un instant où le monde devenait réel! Un instant où le monde subissait la plus radicale des transformations, où le monde des explications s'effaçait pour nous laisser voir le monde réel. C'était le moment de l'amour! Cette transformation, c'est ce qui nous crevait les yeux! On avait détruit! On avait transformé! On s'était laissé surprendre! C'est çà qui nous offrait l'amour! On était les plus grands enfoirés de tous les temps si on ne voyait pas ça. Ce qui nous séparait de notre destin était très mince. Nous n'avions qu'à dire oui. L'amour n'avait en fait qu'un détour. Un détour, et un seul. Ce détour, c'était l'action. Parce que l'amour n'a pas d'explications, mais il a des preuves, parce que l'amour n'a pas d'explications, mais il a des preuves. Et puis elles ont beau être lentes et compliquées à venir, elles sont immédiates, les preuves. Les preuves valent autant que l'amour, non qu'elles soient la même chose que l'amour, ni un équivalent de l'amour, mais parce qu'elles ouvrent une perspective sur une face réelle du monde : sur l'action...

Je vous avais bien dit que ça vous concernerait!
Qu'est-ce que vous êtes beau putain! Je vous aime!
Frank! Je crois qu'il est temps de leur donner leur cadeau, leur preuve...

(Frank se dirige vers les portes de la salle...)

After murder picture (première étape de travail)


lundi 4 juin 2012

lundi 16 avril 2012

                                                     Une nuit dans la foret.


Une nuit, lors de mes 14 ans, nous avons eu moi et mes quatre meilleurs amis, la permission d'aller faire du camping dans les bois. Nous étions chacun arrivé avec notre énorme sac à dos bourré par nos parents de vivres et de couvertures. Moi j'avais pris en plus au fond de mon sac, Virginie, la chatte de mon voisin en me disant que ça serait cool d' avoir une mascotte pour le club. Je l'avais enfermé dans un sac et après bien deux heures d'hystérie complète elle s'était enfin résignée à son sort, non sans avoir uriné à plusieurs reprises ce qui avait donné une odeur définitive aux couvertures et aux sandwichs «thon mayonnaise» de ma mère.
A peine on s'était installer près d'un gros chêne ou on avait décidé de passer la nuit, que j'ai sorti Virginie pour la présenter à mes potes. Le noeud du sac me résistait, alors Aïcha qui avait des ongles très longs avec des hello kitty souriants collés dessus, a pris le relais. Avec une dextérité fascinante et en moins de deux secondes elle a réussi à libérer le corps de Virginie et à le plaquer au sol, mais Virginie l'a immédiatement griffé à la main et Paul et Laura sont venus à la rescousse pour la tenir, pendant que moi et Martin avons défait nos lacets pour l'attacher par les pattes à deux troncs d'arbre proches de nous. Liée comme ça elle ressemblait plus à un lapin qu'à un chat, ce qui était vachement moins cool comme mascotte mais au fond ça n'avait pas vraiment d'importance. On s'est mis immédiatement en cercle autour de l'animal. Pendant un long moment personne n'osait respirer, tellement on était en extase face à ce corps hystérique, tressautant et hurlant devant nous. Paul a pris une branche morte près de lui et a commencé à appuyer sur le flanc de Virginie qui hurlait à la mort. On pouvait voir la résistance tenace de ses muscles. Paul a d'abord appuyé doucement, puis a essayé d'enfoncer de plus en plus fort le bâton dans le corps de Virginie. Virginie, épuisée, a fini par se calmer et la seule forme apparente de vie qui lui restait était ce halètement quasi silencieux. Chaque fois qu'il retirait le bâton, le flanc reprenait sa forme initiale. Aucune marque. Aucune trace. Alors, j'ai eu une idée. J'ai arraché le bâton des mains de Paul et j'ai commencé à le presser de nouveau contre le flanc de Virginie. D'abord à une main, puis a deux. On a commencé à entendre ses côtes se briser. Ce bruit éveillait chez nous la plus grande curiosité et Paul et Aïcha se sont joints à moi. On a fait pression sur son flanc de plus plus fort, jusqu'au moment ou notre bâton a transpercé en un centième de seconde et sans un bruit le flanc de virginie qui s'est mis à émettre un son strident comme jamais on n'en avait entendu. Nos cinq corps se sont alors suspendus dans l'espace temps. Chacun retenait son souffle et écoutait la longue plainte de Virginie. On a alors aperçu un léger filet de liquide rouge qui commençait à sortir entre la peau de Virginie et le bâton enfoncé dans sa chair. J'ai retiré le bâton d'un coup sec et le sang s'est mis à jaillir en une petite fontaine carmin en même temps que le cri de virginie s'est stoppé net. Nos cinq rires adolescents ont remplis toute la forêt. Et puis chacun notre tour, on a enfoncé le bâton dans le corps de Virginie. D'abord en prenant le temps comme la première fois, comme si on souhaitait vivre encore et encore cette expérience du moment ou l'on passait de l'extérieur à l’intérieur, et ensuite on a commencé à s'acharner dessus comme des fous. On étais des dieux destructeurs. Chacun à son tour on prenait le bâton et chacun à son tour on l’enfonçait aussi profondément qu'on pouvait en prenant son élan en hauteur et en hurlant. Nos fronts perlaient. La sueur se mélangeait au sang sur le sol recouvert de feuilles. Des morceaux de chair restaient collés le long de notre arme. Et on frappait, frappait, frappait en hurlant comme ça: (un long cri). Des morceaux de chair volaient. Le corps de Virginie avait complètement disparu, mais on continuait à s'acharner sur des morceaux de viande sanguinolents. Aïcha est tombé au sol et on s'est tous mis à partir dans un fou rire comme jamais on n'en avait eu dans notre vie. On a tous commencé à se rouler par terre en riant. Et puis Martin s'est relevé et a pris une grosse poignée de terre et de morceau de viande et en même temps que sa bouche riait ses yeux nous ont lancés un défi, un vrai cette fois, et devant nous il a enfoncé sa main remplie de boue et de Virginie dans sa bouche. Il nous a regardé encore un moment, et il a tout avalé en une seconde, sans même gémir. On était tous soufflés. Et alors chacun notre tour on s'est levé, on a pris une énorme poignée de terre et de Virginie, on regardait les autres de toute notre hauteur et on enfonçait le tout dans notre bouche, et on avalait. Quand tout le monde l'avait fait, ben on était calme, apaisé, en fait. Moi et Laura on a ramassé les restes de virginie, et on les a enterrés dans un petit trou qu'on a creusé sous un arbre. Pendant ce temps les autres ont monté une cabane et fait un feu. Après on a passé toute la nuit a chanter «killing an arab» et «boy's don't cry» et on s'est raconté des histoires d'horreur en riant, en buvant du coca et en mangeant des saucisses. Et puis au petit matin, comme Paul et Laura s’était endormis, moi Martin et Aïcha, on a décidé d'aller se promener dans la foret. On a marché super lentement, on était complètement ouverts aux bruits et aux odeurs de la forêt. Sur le chemin on ne disait pas un mot, et puis dans une seule respiration, Martin a lâché «Vous avez déjà aimé quelqu'un?». (Silence). Personne ne répondait. Il avait dit quelque chose qui était vachement important, et nous le savions tout les trois. Il venait vraiment de dire quelque chose de vachement important. Il s'était mis à nu devant nous. Il avait su dire les bons mots, poser la bonne question qui n'appelait aucune explication, juste un oui ou un non qui pourrait tout transformer, à tout jamais. Il nous faisait confiance, nous offrait son intimité, sa douleur, sa mélancolie. Mes yeux et ceux de Aïcha se sont croisés une seconde, pas plus. J'ai juste vu qu'elle me souriait. Alors je me suis arrêté, sans rien dire. Je regardais fixement le sol, mon corps était en tétanie volontaire, je me tenais au milieu de la forêt, le corps tendu, tête baissé, le monde était mien, je venais d'arrêter le temps. Les deux autres ont continué à avancer quelques mètres et puis se sont retournés pour voir ce qui se passait. Alors j'ai levé le visage vers eux, et j'ai plongé mes yeux larmoyants dans les leurs. Je leur ai, à mon tour, offert toute ma désillusion. Je leur offrais pour qu'il la transforme. Leurs visages étaient tout proche du mien, à quelques mètres, oui-oui-oui, mais tout proche du mien. Alors Martin a souri et Aïcha aussi et ils se sont approchés de moi et Martin a posé sa main sur mon épaule et Aïcha aussi et on s'est embrassé. Là, au milieu de la forêt, alors que le ciel commençait à peine à s'éclaircir, nos langues se sont mélangées timidement. Puis, Aïcha a enfoncé un peu plus profond sa langue dans nos bouches et Martin aussi et moi aussi et à un moment on a senti les restes de la petite odeur fétide de Virginie dans nos bouches et alors on s'est serrés aussi fort qu'on le pouvait et alors nos larmes et nos sourires et nos langues et la petite odeur fétide de Virginie, tout ça se mélangeait et créait un immense ciel bleu chaotique qui nous englobaient tout entier et on pouvait entendre le moindre battement d'aile des oiseaux, le moindre bruissement des fougères autour de nous, tout les loups de la forêt nous épiaient en silence et étaient jaloux de nous. Tout, absolument tout,autour de nous se transformait en de sublimes outils à notre disposition afin que nous créions notre propre monde. Nous sortions de ce monde d'explications. Nous découvrions un monde dans le monde. La vie, la mort tout ça n'était plus quantifiable ni qualifiable. Tout n'était qu'outil et tout n'était que possibilité de transformation. La brutalité du monde et des hommes se révélait à nous comme la réponse absolue, claire et nue. Nous aimions et étions aimés. Il existait un imprévu! L'amour! Il existait une soudaineté! L'amour! Il existait un instant ou le monde devenait réel! Un instant ou le monde subissait la plus radicale des transformations, ou le monde des explications s'effaçait pour nous laisser voir le monde réel. C'était le moment de l'amour! Cette transformation, c'est ce qui nous crevait les yeux! Nous avions détruit! Nous avions transformé. Nous nous étions laisser surprendre! C'est ce que nous offrait l'amour! Nous étions les plus grands enfoirés de tout les temps si on ne voyait pas ça. Ce qui nous séparait de notre destin était très mince. Nous n'avions qu'a dire oui. L'amour n'avait en fait qu'un détour. Un détour, et un seul. Ce détour, c'était l'action. Parce que l'amour n'a pas d'explications, mais il a des preuves. Il ne s'agit pas exactement d'un détour parce que l'amour n'existe que par ses preuves. Et puis elles ont beau être lentes et compliquées, elles sont immédiates, les preuves. Les preuves valent autant que l'amour, non qu'elles soient la même chose que l'amour, ni un équivalent de l'amour, mais parce qu'elles ouvrent une perspective sur une face réelle du monde: sur l'action ...

Mathias Varenne.





                     SLEEPING BEAUTY

mardi 3 avril 2012

Résidence 2 "Textualités" --> Un rêve.

 Alors qu'il y a une prise d'otage dans un magasin ou je fais mes courses, je décide de m'enfuir en courant, lorsque soudain j'entends le bruit d'une détonation puis une piqûre vive entre mes deux omoplates comme une mininiscule fée armée de ciseaux pointus qui se fraie un chemin dans ma chair. Je continue de courir jusqu'à ce que je m'écroule face contre le carrelage blanc du rayon boucherie. Je n'ai pas froid, mais j'ai peur, j'ai peur car j'ai de l'espoir, l'espoir de ne pas mourir et puis j'ai peur de vivre handicapé. Je me vide de mon sang lentement mon cerveau se met à réfléchir très très vite et puis je sens une main qui m'attrape l'épaule et qui me retourne dos au sol. Un homme armé et au visage couvert d'une cagoule noire me défie de toute sa hauteur et me regarde agoniser, ma respiration s'accélère alors que l'homme approche son visage du mien, mon cerveau se met a réfléchir de plus en plus vite-tissu glace métal bois-non mon corps ne sens plus rien-acier, feu cire-non mon corps ne sens plus rien-congélateur à droite, roue d'un caddie à gauche, des amis oui j'ai des amis, une famille aussi oui j'en ai une-qui va s'occuper de moi quand je serais en chaise roulante-pourquoi ai-je essayé de m'enfuir, merde putain merde pourquoi ai-je essayé de m'enfuir hein putain de moi , et mon corps? Non toujours rien mon corps ne sens rien et ses yeux s'approchent des miens il n'est plus qu'a quelques centimètres-est ce que la sécu s'occupe bien des gens handicapés?-Un vélo, une porte-ses yeux gris verts me regarde intensément et s'approchent de moi inexorablement-des groseilles mangée dans la main de nathalie l'été de mes 4 ans-il lève sa main lentement-tiens si je prend cette rue la j'arriverais sans doute plus vite-il ôte sa cagoule et me révèle son visage, mon visage, c'est moi je me regarde moi-même dans le blanc des yeux et puis il enfin je me souris et tourne la tête sur la droite et à coté de moi je remarque un corps couché au sol le visage ensanglanté, c'est aussi moi et je lance un regard panoramique autour de moi et je vois deux autres braqueurs eux aussi sont moi et encore deux corps de moi et un autre en train de brûler et d'hurler et c'est moi et un autre pendu a un croc de boucher qui perd son sang et tache goutte après goutte le sol du rayon boucherie et les deux autres braqueurs s'approchent eux aussi de moi et je me replonge dans mes propres yeux et je ferme les yeux et j'entends alors que je pousse mon dernier souffle: un chuchotement très léger qui me susurre «je t'aime» .

Mathias Varenne.